Flashback… suite !

Il y a quelques temps je vous révélais une partie sombre de ma vie, celle d’une enfance gâchée par une erreur médicale qui a bouleversé toute ma vie. Si vous ne l’avez pas lue, je vous invite à le faire ici : https://efedel.com/2018/10/29/flashback-merci-a-cette-inconnue

La vie est extraordinaire de surprises et d’inattendues !

Bien des années plus tard, après mes années danse, mes années cyclotourisme est venu le temps de se mettre à travailler pendant les vacances d’été pour se faire de l’argent de poche.

Après avoir passé le BAFA (Brevet d’Aptitude à la Formation d’Animateur), moniteur de colonie de vacances ou de centre aéré, j’ai travaillé dans une ferme/colonie dans les Alpes. Un mois à garder des enfants dans un cadre verdoyant, avec animaux et pains cuits au feu de bois.

Premier contact avec la vie d’adultes à la rencontre de la motivation et de la responsabilité de chacun. Pas facile à 18 ans de prendre en charge des enfants encore plus quand on s’aperçoit que la motivation de certains animateurs est surtout guidée par celle de percevoir un salaire. D’abord le droit, après le devoir. Petite aparté car, depuis ce temps là, j’ai toujours du mal à comprendre les personnes qui font passer d’abord leurs droits avant leurs devoirs. Pourtant, si on perçoit un salaire, c’est bien parce que l’on a travaillé correctement pour le recevoir, non ?

C’est ainsi que je me suis battue pour faire, ce qui me semblait être mon travail, contre certains animateurs, heureusement soutenue par les adultes responsables de la colonie. Mais la conséquence à cela a fait que je n’ai plus pris le temps d’écouter mon corps, car j’étais avant tout à l’écoute des enfants dont j’avais la responsabilité d’animer leurs vacances dans la joie et la bonne humeur !

Et, sans m’en apercevoir, durant une randonnée où j’avais dû raccompagner à deux reprises des enfants fatigués, je me suis déchirée, avec le lacet de la chaussure de marche la peau fine de la cicatrice sur le coup de pied. Heureusement c’était le dernier jour, raison pour laquelle nous avions fait une randonnée, dormi sous la tente après une soirée autour du feu de camp.

Quand je suis arrivée chez moi, j’ai expliqué à mes parents qu’il fallait que je vois un médecin, la plaie n’était pas belle du tout. J’ai senti une gêne chez eux, et ma mère m’a expliqué que notre médecin traitant était en vacances et qu’il avait un remplaçant.

Qu’à cela ne tienne, j’irai voir le remplaçant !

« Oui mais, tu vas voir son nom, et on s’est renseigné, c’est une malchance, un coup du sort, jamais cela n’aurait dû arriver »

Le remplaçant du médecin était le fils du chirurgien qui avait gâché ma vie !

J’ai mis deux nuits et un jour avant de me décider. Comment allais-je réagir ? Il n’y était pour rien ? Oui mais lui, personne ne l’a rendu handicapé ? Lui, il n’a pas eu ton enfance ? N’a pas supporté les moqueries, les souffrances ?

J’ai demandé à ma mère de m’accompagner. Je voyais bien qu’elle craignait ma réaction, mais nous n’avions pas d’autre solution. C’était peut être aussi un signe du destin, ce moment devait être vécu.

Je sais que cela n’avait pas dû être facile pour mes parents d’apprendre le nom du remplaçant, d’essayer de savoir si il était un parent du chirurgien qui avait gâché nos vies.

Nous sommes dans la salle d’attente, silencieuses, mal à l’aise.

« Bonjour ! Qu’est ce qu’il me vaut votre visite, votre maman vous a accompagné, c’est bien ! »

Il me sent mal à l’aise, mais ne comprend pas. Peut être a t-il pensé que je venais pour un problème gynécologique. J’ai du mal à parler, mais je prends l’option de lui expliquer que je rentre d’une colonie de vacances où j’étais animatrice et que je me suis blessée le dessus du pied avec le lacet de ma chaussure et que cela n’arrive pas à cicatriser tout seul, qu’il faut faire quelque chose.

« Bon cela n’a pas l’air bien grave ! » dit-il avec un grand sourire enjoleur.

Je monte sur la table d’examen, j’enlève ma chaussure, puis ma chaussette et je sens comme de l’électricité courir le long de ma colonne vertébrale, mes mains sont moites, je ne regarde pas ma mère.

« Mais qu’est-ce qu’il vous est arrivé ? Quel est la boucher qui vous a fait cela ? Vous deviez être très jeune ?

– le « boucher » c’est votre père et oui j’avais deux ans ! »

Passé le moment de sidération, instant infiniment long et pesant, il s’est repris. M’a prescrit un traitement. Puis :

« Ce n’est pas la première fois que je suis confronté à une victime de mon père, il était chirurgien viscéral, pas orthopédique mais quand vous arrivez aux urgences… cela n’excuse rien et paix ait son âme maintenant. Vous étiez si jeune. »

Le lendemain, en fin de journée, mes parents me demandent de m’asseoir et de les écouter. Le médecin les a appelé, a voulu leur parler, savoir ce qui c’était passé exactement, savoir comment je vivais cet handicap.

Je le vivais difficilement : pas de bain de mer, pas de bain de piscine avec des amis, très difficile de découvrir mes cicatrices, une vie de jeune fille difficile à vivre. Il voulait m’aider. J’étais jeune, volontaire, il fallait que je m’épanouisse. Peut être qu’un échange avec lui permettrait, à tous les deux, de panser un peu les blessures. Il n’était pas sorti indemne de notre rencontre.

Alors oui, je suis allée le voir.

Il a beaucoup parlé, je l’ai beaucoup écouté. Puis il m’a raconté ses rencontres avec des personnes ayant des handicaps plus lourds, comme des amputations mais qui ne se s’empêchaient pas de montrer leur handicap, car ils avaient envie de vivre comme tout le monde. Ce n’est pas de leur faute si ils sont différents, et ils ne veulent pas vivre en reclus. Chose que je ne dois pas m’infliger en plus, je dois passer ce cap, je fois faire en sorte de vivre normalement, d’autant que mon handicap ne se voit pas au premier abord. Il veut m’aider et me propose de le revoir pour avancer.

Il y a de cela plus de 30 ans, et bien d’autres blessures, mais il y a des jours où je n’arrive pas à assumer mon état et où je vis en recluse ne serait ce que pour me ressourcer. La solitude me permet de me poser, de recharger mes batteries, de ne plus m’épuiser à faire croire que tout va bien.

Non, vous ne pouvez pas oublier. La douleur, le regard des autres, les remarques de personnes qui ne savent pas et vous jugent au quotidien… Non, nous, personnes qui avons et qui souffrons, nous ne pouvons pas vivre comme les autres.