Flashback…Merci à cette inconnue

Nous rentrions chez nous après une ballade à pied, mon frère dans le champ à chercher des escargots et des doryphores sur les plants de pomme de terre, moi donnant la main à ma maman au bord de la route.

Nous n’avions rien entendu, plongés dans nos pensées et savourant la douceur du printemps sur nos visages. Nous venions de laisser mon père sur le chantier de notre future maison et rentrions sereins dans notre logement HLM.

Et… plus de souvenirs. Le néant.

Engourdie, je suis allongée parterre, un monsieur sévère au-dessus de moi. Je vois les feuilles de platanes et le ciel bleu, et cette angoisse qui arrive « Maman ! Maman ? ». « Elle est là-bas ta mère, arrêtes de crier ! ».

Un camion rouge, un monsieur sur un brancard, ma mère sur un autre et moi que l’on assoit sur une couverture dans le fourgon rouge.

Trou noir.

J’ai très peu de souvenirs, il faut dire qu’à l’âge de trois ans, seuls les plus frappants restent graver, pourtant il y a le ressenti. Il reste le ressenti, celui là même que, 43 ans après, j’allais pouvoir identifier dans des séances d’EMDR.

Les premières années de vie sont celles qui vont vous forger, bâtir votre personnalité, sculpter vos capacités, jauger votre tolérance.

Je suis allongée dans un lit d’hôpital, ma jambe droite est plâtrée et tenue avec une corde et une poulie au plafond. C’est pas confortable du tout. J’ai des « fourmis ».

Ma mère est dans le lit d’à côté. Elle, elle peut se lever, mais pas moi. A ma gauche un rideau qui, quand il est ouvert, dévoile un lavabo. La chambre est grande, blanche, les draps aussi.

Une voiture m’a fauché sur la route. En fait une voiture nous avait vu marcher entre les platanes et a ralenti, une autre est arrivée à très vive allure à percuter la première qui m’a écrasé. Je m’en suis bien sortie : fracture du fémur et quelques petites plaies.

« Ya des fourmis dans mon pied ! » – « Mais non, c’est parce qu’il est attaché en l’air, il faut rester dans cette position » gronde l’infirmière.

Je ne me souviens pas du temps qui passe.

« Ya des abeilles dans mon pied, plein d’abeilles » – « Qu’est ce qu’elle est capricieuse cette enfant ! » – « Mais elle est bien doudou. Il faut que tu apprennes la patience, dans quelques jours on détachera ton pied »

« Ya des abeilles, de plus en plus » – « Mais Madame il faut qu’elle arrête de s’agiter comme cela, son pied va finir par sortir de sa gouttière »

Patatras !!

Le pied a fini par tomber.

Non, en fait, ce n’est pas le pied tout entier, c’est la jambe et le dessous du pied avec les orteils qui sont tombés, le reste est resté accroché dans le plâtre : la peau a été rongé par la gangrène.

Que c’était-il passé ? Dans l’urgence, le chirurgien viscéral avait appliqué à la lettre la procédure pour réduire une fracture du fémur chez une enfant de 3 ans. Seulement pour faire tenir le bandage, du sparadrap avait été utilisé et sans doute mal positionné, avait rongé la peau, si tendre du coup de pied d’une petite fille, jusqu’aux os.

Cette petite fille restera marquée à tout jamais par le ressenti et la résonnance des paroles des adultes. Ainsi elle a appris que ce qu’elle ressentait comme étant des abeilles qui la piquaient n’était pas de la douleur. Non, non les adultes lui ont bien dit que c’était des caprices ! Avec une telle construction, plus tard, elle ne percevra pas la douleur comme les autres, et arrivera à se blesser sans s’en apercevoir. La construction sensorielle de l’enfant est capitale, car elle va lui apprendre les limites de ses capacités, et ainsi appréhender les situations dangereuses.

On appelle le chirurgien, il rassure ma mère, on va m’opérer en urgence dans ce centre hospitalier général. Pas de souci à se faire. Il gère. Je vais passer au bloc dans quelques heures, le temps de tout préparer.

« Ah non ! C’est gentil, mais pas de biberon pour ma fille, elle doit être à jeun, elle va être opérée rapidement ». Arrive le biberon directement dans ma bouche et voilà que l’infirmière se cache derrière le rideau en entrainant ma mère. Pas grave c’est bon de boire quelque chose de chaud. Tiens pourquoi ma mère s’agite et sort en courant ??

Je ne sais plus très bien ce qui s’est passé ensuite, mon gentil docteur de famille, qui m’a fait naître, est venu avec mon papa et son appareil photo. Puis ils sont sortis.

On m’a mis sur un lit à roulettes et je me suis retrouvée dehors, ma grand-mère était là : « Mamie où est ce que l’on m’emmène ? » -« Dans un magasin pour acheter un landau pour ta poupée ! »… Tu parles !!! Allez faire confiance aux adultes après de tels mensonges !

Ben non, je ne suis pas allée chercher un landau pour ma poupée. J’ai été amené dans un autre établissement, j’ai rencontré un grand docteur qui a dit à mes parents : « je n’arriverai pas à en faire une danseuse, mais je vais essayer de sauver son pied et éviter l’amputation. Pour cela il va falloir de multiples greffes, se sera long mais il faut le tenter ».

Bon le Grand Docteur, il avait tort : quelques années après je faisais de la danse classique ! Mais cela est dû à mon esprit de contradiction et mon signe astrologique : Bélier.

L’histoire ne s’arrête pas là, mais pour aujourd’hui, oui. Car s’il y a bien une chose que je regrette, et c’est pas faute d’avoir essayer de la trouver des années plus tard, c’est de ne pas avoir remercier cette infirmière choquée d’apprendre qu’une erreur médicale aller coûter le pied d’une enfant qui resterait à jamais mutilée. Cette personne qui a outrepassé son devoir du respect du secret professionnel et a pris une décision qui peut être lui a été reprochée. Une femme qui savait que mon pied pouvait être « sauvé » dans un service de traumatologie. Je passe sur la menace, et la ténacité de mes parents et de mon médecin de famille qui sont arrivés à me faire sortir de cet établissement contre avis médical. Bien des années plus tard, j’ai voulu récupérer mon dossier médical qui avait malencontreusement disparu.

A toutes les victimes d’erreurs médicales non assumées, je leur souhaite de rencontrer des personnes qui mettront tout en œuvre pour limiter l’impact sur la vie future des victimes.

Un GRAND GRAND MERCI à cette personne, qui sait, peut être qu’elle se reconnaitra dans mon histoire et peut être qu’elle me contactera. La vie est si bizarre… et elle compte tellement de héros qui s’ignorent… Je lance une bouteille à la mer !

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